L’ego
(…) L’ego se définit par l’absence d’une connaissance véritable de ce que nous sommes réellement, et par la conséquence même de cette ignorance : la tentative, vouée à l’échec, de nous raccrocher désespérément à une image de nous-mêmes fabriquée de toutes pièces, une image de fortune, un moi inévitablement charlatan et caméléon, contraint de changer sans cesse pour garder vivante la fiction de son existence. En tibétain, l’ego est appelé dak dzin, ce qui signifie «s’accrocher à un moi». L’ego est donc défini comme les mouvements incessants d’attachement à une notion illusoire du «je» et du «mien», du soi et de l’autre, ainsi qu’à l’ensemble des concepts, idées, désirs et activités qui entretiennent cette structure fictive. Un tel attachement est vain dès le départ et nous condamne à la frustration, car il ne repose sur aucune base ni aucune vérité, et ce que nous essayons de saisir est, de par sa nature même, insaisissable. Le fait que nous éprouvions le besoin de nous attacher ainsi aux choses, et que nous continuions à le faire avec une ténacité jamais démentie, indique que nous savons, au plus profond de nous, que le moi n’a pas d’existence intrinsèque. C’est ce savoir obscur et obsédant qui est à la source de toutes nos peurs et de notre insécurité fondamentale.
Tant que nous n’aurons pas démasqué l’ego, il continuera à nous berner, tel un politicien véreux claironnant sans fin de fausses promesses, un avocat inventant sans relâche stratagèmes et mensonges ingénieux, ou un animateur de show télévisé parlant sans cesse et entretenant un flot de bavardage mielleux et convaincant, mais vide de sens en réalité.
Des vies entières d’ignorance nous ont conduits à identifier la totalité de notre être à l’ego. Le plus grand triomphe de celui-ci est de nous avoir leurrés en nous convainquant que ses intérêts étaient les nôtres et en nous faisant même croire que notre survie allait de pair avec la sienne. L’ironie est cruelle, quand on considère que l’ego et sa soif de saisie sont l’origine de toute notre souffrance ! L’ego est pourtant si convaincant, il nous a dupés depuis si longtemps, que la pensée qu’un jour nous pourrions vivre sans lui nous terrifie. Etre sans ego, nous susurre l’ego, serait perdre le charme merveilleux de notre condition humaine pour n’être réduits qu’à de tristes robots, à des zombies.
L’ego joue avec brio sur notre peur fondamentale de perdre le contrôle et sur notre crainte de l’inconnu. Nous pourrions par exemple nous dire : «Je devrais vraiment abandonner l’ego. Je souffre tant ! Mais alors, qu’adviendra-t-il de moi?»
Et l’ego ajoutera, de sa voix douce : «Je sais que je te pose parfois des problèmes ; crois-moi, je comprends très bien que tu veuilles me quitter. Mais est-ce réellement là ce que tu souhaites ? Réfléchis bien : si je m’en vais, que va-t-il t’arriver ? Qui s’occupera de toi ? Qui te protégera, qui prendra soin de toi comme je le fais depuis tant d’années?»
Extrait du livre « Le livre tibétain de la vie et de la mort » de Sogyal Rinpoché
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